Maxim Tyrel
souffla lentement sur les braises, tentant de conserver un minimum le feu qu’il
avait lancé trois heures auparavant et qui n’était maintenant plus qu’un
restant de morceaux de bois carbonisés aux bords incandescents. Il plaça
quelques brindilles d’herbe sèche dessus et attendit qu’elles s’embrasent pour
s’autoriser un sourire soulagé, conscient que la douce chaleur ne serait
peut-être que temporaire, mais salutaire. Octobre était arrivé et avait apporté
avec lui le froid, la pluie, les frissons.
Il frotta ses
mains par-dessus son chauffage improvisé, puis attrapa un bout de viande séchée
dans sa besace. Tout en mordant sauvagement dans le morceau de gibier, ses
souvenirs se portèrent sur les quatre jours précédents. Sur sa quête, son
départ vers l’inconnu. Il avait laissé une sœur éplorée, une bande d’amis et
des enfants de tout âge seuls, pour tenter de les sauver. Mais, plus les jours
passaient, et plus il se demandait s’il avait eu raison.
Son idée première
était simple : se rassembler pour mieux se protéger. Alors, seul, il était
allé à la recherche d’autres communautés, d’autres groupes tels que le sien. Il
voulait trouver de l’aide par l’intermédiaire de survivants qui, comme lui,
désiraient un futur pour leurs proches.
Il n’imaginait
pas Beth continuer à vivre dans un monde aussi dangereux que celui-ci, où
s’isoler dans une ancienne caserne de pompiers vétuste et se protéger en
embauchant des « gardiens » adolescents était la seule solution pour
survivre. Il ne voulait pas voir sa petite sœur grandir dans la peur, dans la
faim, dans le désespoir. Alors, il avait fait ce qu’il avait à faire. Du haut
de ses vingt ans, il avait trouvé le temps opportun d’agir en tant qu’adulte,
pour sauver les siens.
Trouver des
alliés. L’idée lui était venue en étudiant Alex, ce jeune garçon qu’il avait
sauvé des griffes d’un groupe de traqueurs plus d’un mois auparavant. En tout
premier lieu, il avait vu en l’adolescent un ennemi potentiel, un élément qu’il
faudrait constamment surveiller, afin de ne pas se voir trahi au sein de sa
propre communauté. Puis, après lui avoir parlé, il avait décidé de lui laisser
une chance, de le tester et de le pousser, malgré ses blessures, à aider la
communauté. Ce qu’Alex avait fait, à son grand étonnement. Il y avait ensuite eu
l’attaque dont Beth avait été victime, et le sauvetage inattendu de sa petite
sœur par le garçon dont il continuait jusque-là à se méfier, malgré ce qu’il
commençait à entrevoir en lui. Alors, il avait décidé de donner une part de sa
confiance, et il en avait été remercié en trouvant ce qui se rapprochait le
plus d’un ami en la personne d’Alexander.
Un ami, un allié.
Grâce à lui, ils avaient pu sortir vivants d’une attaque de douze traqueurs où
ils n’en menaient pas large, Kate, Adam et lui. La force et l’union avaient
vaincu la haine. Ce qui l’avait d’autant plus motivé par la suite dans son
idée. Alex l’avait soutenu, affirmant que créer une alliance était un excellent
moyen de survivre.
Alors, il s’était
lancé. Et maintenant, quatre jours après, il se demandait s’il allait pouvoir
mettre son idée en exergue.
Car, à l’exception
de plusieurs traqueurs et d’un groupe de trois personnes effrayées qu’il avait
rencontré hier, les survivants se faisaient de plus en plus rares ici. Beaucoup
avaient quitté la ville pour s’isoler en zone rurale, et une grande part du
restant n’avait pas survécu aux percées des traqueurs au sein de la ville.
Il piocha une
bouteille d’eau dans son sac, la vida d’un trait, et s’autorisa à s’allonger
sur son manteau, placé en tant que matelas sur le sol de cette maison
abandonnée. L’endroit avait un toit, quatre murs et même un puits, ce qui
l’avait motivé à y passer la nuit.
Les bras derrière
la tête en guise de coussin, il songea à sa petite sœur. À la façon dont elle
avait réagi quand il était parti. Il espérait pouvoir revenir rapidement, la
prendre dans ses bras, et lui murmurer à l’oreille qu’il ne la quitterait plus.
Les bruits de la
nuit l’entouraient. Le vent contre les murs, le bruissement des feuilles mortes
qui se soulevaient sous son passage dans la petite pièce ouverte aux nombreux
courants d’air, les murmures des insectes qui avaient trouvé ici un agréable
refuge.
Et puis il y eut
ce léger souffle. Une seconde, il se dit qu’il rêvait, celle d’après, il
sautait sur ses pieds, se fiant à son instinct. Cet instinct qui lui criait
qu’il n’avait pas inventé cette respiration.
Il n’était plus
seul dans cette maison.
Rapidement, il
sortit son sabre de son fourreau et se plaça en position d’attaque, les deux
mains sur le manche de l’arme. Il plissa les yeux pour percer l’obscurité
autour de lui, à peine perturbée par les quelques rougeoiements des braises.
— Qui est
là ? aboya-t-il en tournant sur lui-même.
Pas un bruit, pas
un murmure. Pourtant, il n’avait pas rêvé, il le savait.
— Je sais qu’il y
a quelqu’un ! Sortez de votre cachette !
Toujours rien. Il
leva légèrement son sabre et siffla froidement :
— Ne m’obligez
pas à venir vous chercher…
Un raclement sur
la gauche. Il vit d’abord le bout d’une chaussure en tissu, puis un pantalon
rapiécé sur le bas, qui avait dû être beige dans le temps, et enfin, un pull en
laine surmonté d’une bouille dont les longs cheveux noirs cachaient
partiellement les yeux. Le garçon devait avoir treize ou quatorze ans maximum.
— Qu’est-ce que
tu fais là ? interrogea Maxim en dardant froidement son regard dans celui
de l’inconnu.
— … Rien.
La remarque lâchée
nonchalamment provenait d’une voix plus grave que ce qu’il avait pensé.
Peut-être que sous cette longue mèche et ce corps filiforme se cachait
finalement une personne plus âgée que ce qu’il imaginait.
— Rien ? Tu
te balades seul dans la nuit, tu te caches, mais tu ne fais…
« rien » ?
— Je ne me cache
pas.
— Alors, que
faisais-tu ici ?
— J’aime bien cet
endroit.
Maxim sourcilla.
— Cette
ruine ?
— Et alors ?
Ça te dérange ?
L’animosité soudaine
dans la voix du garçon était évidente, même s’il était beaucoup plus petit et
plus maigre que Maxim. Ce qui amusa légèrement le second.
— Ce n’est pas
conseillé de rester dans les rues par ces temps-ci, surtout quand on est…
— Seul ?
l’interrompit le garçon.
— Oui.
— Je ne suis pas
« seul ».
Avant que Maxim
ait pu comprendre le sens de cette remarque, quelqu’un lui attrapait violemment
les coudes pour le tirer vers l’arrière, l’obligeant par le même temps à lâcher
son sabre. Le blond émit un grondement sourd en se cabrant vers l’avant pour
contrecarrer le poids que l’on mettait sur ses bras, poussant celui qui le
tenait à le laisser s’échapper pour ne pas passer par-dessus lui. Il sauta
ensuite d’un bond souple de l’autre côté du feu, son sabre à ses pieds. Et
récupéra son arme d’un mouvement leste, agile comme un félin.
Un adulte d’une
quarantaine d’années le fixait, une dague dans la main. Il vit le mépris sur le
visage de l’homme qui l’avait agressé et s’avança vers lui, le faciès illuminé
par les flammes orangées, le manche de son sabre fermement serré dans sa paume.
Et alors qu’il s’attendait à une attaque en bonne et due forme, prêt à se
défendre, l’homme émit un vif mouvement de recul, l’air surpris. L’inconnu
entrouvrit la bouche et émit un « Tyrel ? » chargé
d’interrogation. Qui perturba hautement l’intéressé.
— Comment
connaissez-vous mon nom ? répondit Maxim, troublé, sur ses gardes.
— Bon sang, c’est
bien toi, murmura son agresseur en levant les deux mains autour de son visage
en signe de paix.
Il semblait
troublé, hautement déconcerté par Maxim. Interrogateur, l’adolescent aux
cheveux noirs s’approcha de l’adulte en jetant de petits coups d’œil de l’autre
côté du feu.
— Papa ? Tu
le connais ? demanda le jeune garçon dans le silence profond qui s’était
instauré, Maxim toujours fixé par l’individu de façon déconcertante.
L’homme secoua la
tête avec l’air de quelqu’un qui vient de sortir d’un certain égarement. Il glissa
la main dans ses cheveux courts sous le regard méfiant de Max. Et hocha la tête
en sa direction.
— Oui, je le
connais, acquiesça-t-il d’une voix tremblante. Tu ressembles tellement à ton
père, petit. Tellement.
Maxim accueillit
cette remarque en écarquillant les yeux, soufflé par ces quelques mots. L’homme
lui envoya un demi-sourire en percevant sa surprise, pareille à celle qu’il
avait émise en dévisageant le jeune adulte.
— Mon père ?
Comment pouvez-vous… qui êtes-vous ? s’enquit Maxim en sentant son cœur
s’emballer entre ses côtes.
L’adulte baissa
les yeux vers le feu. Aussi subite que brutale, la nostalgie suinta de lui en
une nappe si dense qu’elle sembla entourer le jeune garçon, le prendre à la
gorge.
— J’étais un de
ses amis, il y a quelques années. J’ai construit un refuge avec lui, dans une
résidence qui fut une caserne de pompiers des décennies auparavant. C’était son
bien, son avenir… ton père y tenait tellement, à cette bâtisse. Comme Casey.
Toute animosité
s’évanouit dans l’air. Le jeune homme laissa tomber son sabre, les bras
ballants.
— Ma mère ?
Vous l’avez connue, elle aussi ?
L’homme émit un
léger rire.
— Oui. C’est même
grâce à moi que tes parents se sont mis ensemble.
Maxim entrouvrit
la bouche, interdit. Le rire de l’homme mourut sur ses lèvres tandis qu’il
formulait difficilement la question que le jeune adulte redoutait :
— Ils sont morts,
c’est ça ?
Il n’eut pas
besoin d’acquiescer, l’individu avait lu la douleur sur ses traits. Il secoua
la tête, navré. Et se rapprocha doucement de Max.
— Ton père était
un ami d’enfance, nous avons fait les quatre-cents coups ensemble. Nos chemins
se sont séparés quand mon fils est né, ma femme souhaitait que nous partions
loin d’ici et je l’ai suivi… (il observa longuement son garçon puis dévia de
nouveau son attention vers Maxim) Je suis de retour depuis deux ans et je n’ai
jamais osé retourner chez lui pour voir s’il était toujours présent, toujours
vivant. Je redoutais d’entendre cette nouvelle.
Maxim resta muet,
incapable de trouver les mots à prononcer. L’homme serra l’épaule de son fils
en l’attirant à lui.
— Mon fils
ressemble à sa mère. Toi, tu es la copie conforme de ton père, mon garçon.
La douceur passa
dans son regard ambre, coula sur Maxim comme une pluie de plumes. C’était
agréable.
— L’enfant qui
riait aux éclats sur mes genoux a bien grandi, ajouta-t-il avec mélancolie. Mais
j’oublie le principal… je m’appelle Caleb, et voici mon fils, Wyatt.
Maxim hocha la
tête comme pour les saluer. Et tressaillit soudainement quand son iris attrapa
l’éclat d’un objet métallique au niveau de la porte. Il sauta aussitôt en
arrière, son arme prête à servir, son cri d’alarme retentissant dans la pièce.
Cinq hommes
venaient d’entrer dans la salle, tous armés de lourdes mitraillettes tendues
vers les trois personnes. À leurs styles débraillés, leur façon de marcher,
leur allure, Maxim comprit immédiatement qu’ils avaient affaire à des
traqueurs. Il s’avança au-devant de Caleb et Wyatt, faisant face aux hommes,
lame en main.
Un traqueur lança
un rire mauvais. Et reçu presque aussi vite une dague dans les poumons,
s’écroulant sur un autre homme en formant un « o » de stupeur. Le
même rire sardonique s’échappa des lèvres de Caleb. Maxim s’autorisa un regard
suffisant.
Et leurs ennemis
bondirent sur eux.
N'hésitez pas à me laisser un avis, un petit mot, une idée sur la suite... ;)
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