mercredi 23 décembre 2015

Prologue du Tome 2 de Ruines : Aube



Maxim Tyrel souffla lentement sur les braises, tentant de conserver un minimum le feu qu’il avait lancé trois heures auparavant et qui n’était maintenant plus qu’un restant de morceaux de bois carbonisés aux bords incandescents. Il plaça quelques brindilles d’herbe sèche dessus et attendit qu’elles s’embrasent pour s’autoriser un sourire soulagé, conscient que la douce chaleur ne serait peut-être que temporaire, mais salutaire. Octobre était arrivé et avait apporté avec lui le froid, la pluie, les frissons.
Il frotta ses mains par-dessus son chauffage improvisé, puis attrapa un bout de viande séchée dans sa besace. Tout en mordant sauvagement dans le morceau de gibier, ses souvenirs se portèrent sur les quatre jours précédents. Sur sa quête, son départ vers l’inconnu. Il avait laissé une sœur éplorée, une bande d’amis et des enfants de tout âge seuls, pour tenter de les sauver. Mais, plus les jours passaient, et plus il se demandait s’il avait eu raison.
Son idée première était simple : se rassembler pour mieux se protéger. Alors, seul, il était allé à la recherche d’autres communautés, d’autres groupes tels que le sien. Il voulait trouver de l’aide par l’intermédiaire de survivants qui, comme lui, désiraient un futur pour leurs proches.
Il n’imaginait pas Beth continuer à vivre dans un monde aussi dangereux que celui-ci, où s’isoler dans une ancienne caserne de pompiers vétuste et se protéger en embauchant des « gardiens » adolescents était la seule solution pour survivre. Il ne voulait pas voir sa petite sœur grandir dans la peur, dans la faim, dans le désespoir. Alors, il avait fait ce qu’il avait à faire. Du haut de ses vingt ans, il avait trouvé le temps opportun d’agir en tant qu’adulte, pour sauver les siens.
Trouver des alliés. L’idée lui était venue en étudiant Alex, ce jeune garçon qu’il avait sauvé des griffes d’un groupe de traqueurs plus d’un mois auparavant. En tout premier lieu, il avait vu en l’adolescent un ennemi potentiel, un élément qu’il faudrait constamment surveiller, afin de ne pas se voir trahi au sein de sa propre communauté. Puis, après lui avoir parlé, il avait décidé de lui laisser une chance, de le tester et de le pousser, malgré ses blessures, à aider la communauté. Ce qu’Alex avait fait, à son grand étonnement. Il y avait ensuite eu l’attaque dont Beth avait été victime, et le sauvetage inattendu de sa petite sœur par le garçon dont il continuait jusque-là à se méfier, malgré ce qu’il commençait à entrevoir en lui. Alors, il avait décidé de donner une part de sa confiance, et il en avait été remercié en trouvant ce qui se rapprochait le plus d’un ami en la personne d’Alexander.
Un ami, un allié. Grâce à lui, ils avaient pu sortir vivants d’une attaque de douze traqueurs où ils n’en menaient pas large, Kate, Adam et lui. La force et l’union avaient vaincu la haine. Ce qui l’avait d’autant plus motivé par la suite dans son idée. Alex l’avait soutenu, affirmant que créer une alliance était un excellent moyen de survivre.
Alors, il s’était lancé. Et maintenant, quatre jours après, il se demandait s’il allait pouvoir mettre son idée en exergue.
Car, à l’exception de plusieurs traqueurs et d’un groupe de trois personnes effrayées qu’il avait rencontré hier, les survivants se faisaient de plus en plus rares ici. Beaucoup avaient quitté la ville pour s’isoler en zone rurale, et une grande part du restant n’avait pas survécu aux percées des traqueurs au sein de la ville.
Il piocha une bouteille d’eau dans son sac, la vida d’un trait, et s’autorisa à s’allonger sur son manteau, placé en tant que matelas sur le sol de cette maison abandonnée. L’endroit avait un toit, quatre murs et même un puits, ce qui l’avait motivé à y passer la nuit.
Les bras derrière la tête en guise de coussin, il songea à sa petite sœur. À la façon dont elle avait réagi quand il était parti. Il espérait pouvoir revenir rapidement, la prendre dans ses bras, et lui murmurer à l’oreille qu’il ne la quitterait plus.
Les bruits de la nuit l’entouraient. Le vent contre les murs, le bruissement des feuilles mortes qui se soulevaient sous son passage dans la petite pièce ouverte aux nombreux courants d’air, les murmures des insectes qui avaient trouvé ici un agréable refuge.
Et puis il y eut ce léger souffle. Une seconde, il se dit qu’il rêvait, celle d’après, il sautait sur ses pieds, se fiant à son instinct. Cet instinct qui lui criait qu’il n’avait pas inventé cette respiration.
Il n’était plus seul dans cette maison.
Rapidement, il sortit son sabre de son fourreau et se plaça en position d’attaque, les deux mains sur le manche de l’arme. Il plissa les yeux pour percer l’obscurité autour de lui, à peine perturbée par les quelques rougeoiements des braises.
— Qui est là ? aboya-t-il en tournant sur lui-même.
Pas un bruit, pas un murmure. Pourtant, il n’avait pas rêvé, il le savait.
— Je sais qu’il y a quelqu’un ! Sortez de votre cachette !
Toujours rien. Il leva légèrement son sabre et siffla froidement :
— Ne m’obligez pas à venir vous chercher…
Un raclement sur la gauche. Il vit d’abord le bout d’une chaussure en tissu, puis un pantalon rapiécé sur le bas, qui avait dû être beige dans le temps, et enfin, un pull en laine surmonté d’une bouille dont les longs cheveux noirs cachaient partiellement les yeux. Le garçon devait avoir treize ou quatorze ans maximum.
— Qu’est-ce que tu fais là ? interrogea Maxim en dardant froidement son regard dans celui de l’inconnu.
— … Rien.
La remarque lâchée nonchalamment provenait d’une voix plus grave que ce qu’il avait pensé. Peut-être que sous cette longue mèche et ce corps filiforme se cachait finalement une personne plus âgée que ce qu’il imaginait.
— Rien ? Tu te balades seul dans la nuit, tu te caches, mais tu ne fais… « rien » ?
— Je ne me cache pas.
— Alors, que faisais-tu ici ?
— J’aime bien cet endroit.
Maxim sourcilla.
— Cette ruine ?
— Et alors ? Ça te dérange ?
L’animosité soudaine dans la voix du garçon était évidente, même s’il était beaucoup plus petit et plus maigre que Maxim. Ce qui amusa légèrement le second.
— Ce n’est pas conseillé de rester dans les rues par ces temps-ci, surtout quand on est…
— Seul ? l’interrompit le garçon.
— Oui.
— Je ne suis pas « seul ».
Avant que Maxim ait pu comprendre le sens de cette remarque, quelqu’un lui attrapait violemment les coudes pour le tirer vers l’arrière, l’obligeant par le même temps à lâcher son sabre. Le blond émit un grondement sourd en se cabrant vers l’avant pour contrecarrer le poids que l’on mettait sur ses bras, poussant celui qui le tenait à le laisser s’échapper pour ne pas passer par-dessus lui. Il sauta ensuite d’un bond souple de l’autre côté du feu, son sabre à ses pieds. Et récupéra son arme d’un mouvement leste, agile comme un félin.
Un adulte d’une quarantaine d’années le fixait, une dague dans la main. Il vit le mépris sur le visage de l’homme qui l’avait agressé et s’avança vers lui, le faciès illuminé par les flammes orangées, le manche de son sabre fermement serré dans sa paume. Et alors qu’il s’attendait à une attaque en bonne et due forme, prêt à se défendre, l’homme émit un vif mouvement de recul, l’air surpris. L’inconnu entrouvrit la bouche et émit un « Tyrel ? » chargé d’interrogation. Qui perturba hautement l’intéressé.
— Comment connaissez-vous mon nom ? répondit Maxim, troublé, sur ses gardes.
— Bon sang, c’est bien toi, murmura son agresseur en levant les deux mains autour de son visage en signe de paix.
Il semblait troublé, hautement déconcerté par Maxim. Interrogateur, l’adolescent aux cheveux noirs s’approcha de l’adulte en jetant de petits coups d’œil de l’autre côté du feu.
— Papa ? Tu le connais ? demanda le jeune garçon dans le silence profond qui s’était instauré, Maxim toujours fixé par l’individu de façon déconcertante.
L’homme secoua la tête avec l’air de quelqu’un qui vient de sortir d’un certain égarement. Il glissa la main dans ses cheveux courts sous le regard méfiant de Max. Et hocha la tête en sa direction.
— Oui, je le connais, acquiesça-t-il d’une voix tremblante. Tu ressembles tellement à ton père, petit. Tellement.
Maxim accueillit cette remarque en écarquillant les yeux, soufflé par ces quelques mots. L’homme lui envoya un demi-sourire en percevant sa surprise, pareille à celle qu’il avait émise en dévisageant le jeune adulte.
— Mon père ? Comment pouvez-vous… qui êtes-vous ? s’enquit Maxim en sentant son cœur s’emballer entre ses côtes.
L’adulte baissa les yeux vers le feu. Aussi subite que brutale, la nostalgie suinta de lui en une nappe si dense qu’elle sembla entourer le jeune garçon, le prendre à la gorge.
— J’étais un de ses amis, il y a quelques années. J’ai construit un refuge avec lui, dans une résidence qui fut une caserne de pompiers des décennies auparavant. C’était son bien, son avenir… ton père y tenait tellement, à cette bâtisse. Comme Casey.
Toute animosité s’évanouit dans l’air. Le jeune homme laissa tomber son sabre, les bras ballants.
— Ma mère ? Vous l’avez connue, elle aussi ?
L’homme émit un léger rire.
— Oui. C’est même grâce à moi que tes parents se sont mis ensemble.
Maxim entrouvrit la bouche, interdit. Le rire de l’homme mourut sur ses lèvres tandis qu’il formulait difficilement la question que le jeune adulte redoutait :
— Ils sont morts, c’est ça ?
Il n’eut pas besoin d’acquiescer, l’individu avait lu la douleur sur ses traits. Il secoua la tête, navré. Et se rapprocha doucement de Max.
— Ton père était un ami d’enfance, nous avons fait les quatre-cents coups ensemble. Nos chemins se sont séparés quand mon fils est né, ma femme souhaitait que nous partions loin d’ici et je l’ai suivi… (il observa longuement son garçon puis dévia de nouveau son attention vers Maxim) Je suis de retour depuis deux ans et je n’ai jamais osé retourner chez lui pour voir s’il était toujours présent, toujours vivant. Je redoutais d’entendre cette nouvelle.
Maxim resta muet, incapable de trouver les mots à prononcer. L’homme serra l’épaule de son fils en l’attirant à lui.
— Mon fils ressemble à sa mère. Toi, tu es la copie conforme de ton père, mon garçon.
La douceur passa dans son regard ambre, coula sur Maxim comme une pluie de plumes. C’était agréable.
— L’enfant qui riait aux éclats sur mes genoux a bien grandi, ajouta-t-il avec mélancolie. Mais j’oublie le principal… je m’appelle Caleb, et voici mon fils, Wyatt.
Maxim hocha la tête comme pour les saluer. Et tressaillit soudainement quand son iris attrapa l’éclat d’un objet métallique au niveau de la porte. Il sauta aussitôt en arrière, son arme prête à servir, son cri d’alarme retentissant dans la pièce.
Cinq hommes venaient d’entrer dans la salle, tous armés de lourdes mitraillettes tendues vers les trois personnes. À leurs styles débraillés, leur façon de marcher, leur allure, Maxim comprit immédiatement qu’ils avaient affaire à des traqueurs. Il s’avança au-devant de Caleb et Wyatt, faisant face aux hommes, lame en main.
Un traqueur lança un rire mauvais. Et reçu presque aussi vite une dague dans les poumons, s’écroulant sur un autre homme en formant un « o » de stupeur. Le même rire sardonique s’échappa des lèvres de Caleb. Maxim s’autorisa un regard suffisant.
Et leurs ennemis bondirent sur eux.


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