Cher
journal
01/05/2018 – 15h30
C’est un truc de dingue.
Un truc de dingue.
Un truc de malade.
De malade de dingue.
…
01/05/2018 – 15h41
Cher journal,
Ok, je suis un peu vieux pour dire « cher
journal ». Mais en même temps, il faut absolument que je parle à
quelqu’un. Et ce n’est pas les deux armoires à glace au visage aussi fermé
qu’une porte de prison assises à côté de moi qui vont me permettre de
m’épancher.
J’ai du mal à contenir ma stupeur, ma crainte, mon
envie de hurler « Arrêtez de vous foutre de moi ! ».
Mais comme je suis quelqu’un de flegmatique, je le
fais tout de même.
Je m’impressionne à connaître le mot flegmatique.
Je m’impressionne aussi pour être le sauveur de
l’humanité.
Je m’impressionne à force de m’impressionner.
Bref.
Ce matin, à 7h53 exactement, trois hommes en
costume-cravate noir façon « Men In Black » ont débarqué dans mon
appartement. Dans ma chambre, plus précisément. Au pied de mon lit, encore plus
précisément. Il y en avait un avec des cheveux, un sans cheveux, et un dernier
si grand qu’il touchait presque mon plafond.
J’ai cru que je rêvais. J’ai rabattu ma couette sur ma
tête en marmonnant une petite (grosse) insulte ensommeillée. J’ai ensuite
entendu des pas se rapprocher de moi, des raclements de semelles sur ma moquette
défraichie. Et, tandis que je réalisais qu’il y avait peut-être vraiment trois
mecs bizarres dans ma chambre, quelqu’un m’appelait de mon humble patronyme.
— Monsieur Jackson.
Monsieur Jackson, c’est moi. Théodore Jackson,
vingt-quatre ans, un boulot de vendeur par intérim et un hamster obèse nommé
Milka pour meilleur ami. Je te laisse deviner pourquoi je l’ai appelé comme ça,
cher journal, mais pour t’aider, ça concerne du chocolat et des emballages
violets.
Je me suis donc un peu emballé, estomaqué que les Men
In Black soient chez moi à une heure aussi matinale, surtout en un dimanche
matin. Et surtout chez moi, aussi, chez moi dans mon appartement qui est à moi.
J’ai sauté sur mes deux jambes, bondi au milieu de mon matelas, et donné des
coups de poings dans le vide en hurlant, pour les impressionner. Ça n’a pas
fonctionné. L’un d’eux a même émis un léger rire.
— Monsieur Jackson, a dit le chauve. Il va falloir que
vous nous suiviez.
— Vous suivre ? Pourquoi ? Quand ? Je
ne veux pas vous suivre ! Vous êtes qui ? Merde, j’ai rien
volé !
J’étais un peu effrayé, ma voix un rien aiguë. Et figé
au milieu de ma couette « Le Roi Lion », en caleçon à fleurs, les
cheveux hérissés sur le crâne.
— Nous savons que vous n’avez rien volé. Le président
voudrait vous rencontrer.
— Le président ? Le président de quoi ?
Le chauve a haussé les épaules. J’ai roulé des yeux,
parce que ça m’impressionnait qu’un chauve en costume noir hausse les épaules,
chez moi, devant mon lit, à 7h54 du matin, tandis que j’étais en caleçon à
fleurs.
— De la république, monsieur, a-t-il dit avec
évidence.
Là, je suis tombé sur le cul. Dans tous les sens du
terme.
— Vous vous foutez de moi ou quoi ? Elle est où
la caméra cachée ?
— Il n’y a aucune caméra, a dit le chevelu, sobrement.
— Je ne sais pas ce que vous voulez, mais…
— Il va falloir nous suivre, monsieur, a insisté le
grand.
J’ai fini par les suivre, même si j’ai encore
longtemps hésité à le faire. Et ils disaient vrai, ils disaient vrai, pour de
vrai de vrai, ils disaient vrai. J’ai rencontré le président de la république
française. Et en vrai, il est vraiment petit.
01/05/2018 – 15h58
J’ai fait une pause, le temps de boire un verre. C’est
que ça fait bizarre de mettre tout ça par écrit, Presque plus bizarre que de le
vivre. Même si le vivre, c’est sacrément retournant dans son genre. J’espère
que retournant ça se dit. Emotionnant ? Bouleversant ?
Perturbant ?
On s’en fout.
A 9h02, j’étais devant le président.
Il m’a expliqué le pitch. En gros, je devais sauver le
monde.
SAUVER LE MONDE.
J’ai ri. Je croyais que c’était une blague. Je me suis
dit qu’il était fun, le président. Même s’il était petit.
Mais en fait, le président était sérieux. Très
sérieux. Il en avait des rides sur le front. Il m’a dit que j’étais le sauveur
de l’humanité, que je devais m’allier à Elle, en Amérique, que, dès que nous
nous retrouverions, que nous nous allierons, notre monde sera sauvé de la
destruction ultime. Il a parlé de psychismes, de forces supérieures, de zone 51
et d’autres trucs qui sont entrés dans mon cerveau et qui y sont encore coincés.
J’ai ri, encore.
Et après j’ai pleuré, aussi.
Le président m’a donné son mouchoir en dentelle. Je
l’ai gardé.
Et puis on est monté dans l’avion. Et maintenant, je
vais vers Elle.
Je vais sauver l’humanité.
01/05/2018 – 18h00
Je suis arrivé à Pennyland. Je rigole pas, le village
s’appelle Pennyland. C’est dans l’Iowa. C’est un bled paumé au milieu de nulle
part. Avec un nulle part désertique.
Je suis arrivé à Pennyland et j’ai sauvé le monde. Là
non plus, je rigole pas.
Mais commençons par le commencement du commencement.
Elle. Fichtre de sacrebleu, qu’elle est belle.
Elle habite à Pennyland. Elle tient une boutique de
souvenirs.
Je suis rentré dans la boutique accompagné de mes
gorilles. J’avais l’impression d’être une star avec des gardes du corps. Mais
je n’étais pas une star, puisque j’étais habillé d’un short, de tongs et d’un
t-shirt à l’effigie de ma bière préférée.
Elle était là, derrière le comptoir.
Un canon de beauté comme dans les films. Des jambes
interminables, un corps de déesse, une chevelure d’ange.
Je me suis mis à rire bêtement. Je ris toujours
bêtement devant les belles filles.
— C’est vous ? a-t-elle demandé.
Evidemment, elle savait. Elle aussi, elle avait dû
rencontrer son président.
Et je ne parle pas du beurre, hein.
— C’est moi.
J’ai essayé la voix rauque, c’était raté. J’avais
juste l’air d’un gars hyper enroué qui vient de manger une soupe de graviers.
— Laissez nous, a-t-elle demandé aux gorilles.
— Bien madame.
Ils sont sortis, et on s’est regardé dans les yeux
pendant au moins quatorze secondes. Au moins. Elle avait des yeux incroyables,
verts et bleus à la fois. Je suis tombé amoureux, en fait. Des yeux, d’elle et
du président. Parce qu’il m’avait donné son mouchoir. Mais encore plus amoureux
d’elle.
— Comment doit-on faire ? j’ai demandé.
Elle a ri, d’un rire léger et fluet. Je suis encore
tombé amoureux.
Merde, elle était trop parfaite. Et en plus, elle
devait sauver l’humanité avec moi. Un condensé de trucs cools.
— Je pense qu’il faut qu’on se tienne la main,
a-t-elle dit. Le reste, c’est… la magie. Le pouvoir. L’humanité. Quelque chose
d’inexplicable qui va sauver le monde de son extinction.
C’était comme ça. Elle et moi, si nous nous touchions,
nous sauvions le monde. C’est le président qui l’avait dit. Et le président, il
était vachement sérieux.
Alors, je l’ai cru.
— D’accord.
J’ai glissé mes doigts vers elle. J’avais tellement le
trac, comme si on allait faire l’amour, là, sur son comptoir, au lieu de se
tenir la main comme des adolescents. Elle m’a souri. J’avais envie d’avoir le
trac pour une vraie raison, moi.
En plus, le comptoir était propre.
Mais je suis un gentleman, alors je lui ai simplement
touché la main, tenu la main. Je lui ai souri. Et le monde est devenu bleu
autour de nous pendant l’espace d’un quart de secondes.
C’était magique.
01/08/2018 – 13h03
On a sauvé le monde.
Et on s’est trouvés.
Je suis un héros.
Enfin, aux yeux du président. Et d’Elle.
Elle a toujours des jambes interminables. Un corps de
déesse. J’ai toujours mon caleçon à fleurs.
J’ai sauvé le monde.
Et je suis amoureux.
Excellent , j'en pleure de joie 😂! Je crois que je vais sauver l'humanité moi aussi, à condition qu'il n'y ait plus de président 😅 😉!
RépondreSupprimerHaha, mais il est gentil le président ! (et petit, il est petit, aussi)
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