vendredi 14 octobre 2016

PROLOGUE - EVOLUTIO

Hello !

Aujourd'hui, je vous propose de découvrir le prologue de mon sixième roman, Evolutio.

N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires, ici ou sur mon twitter ! J'ai hâte de connaître vos avis.

Evolutio sera disponible fin novembre en numérique et broché.
  

 







Texte ©Sophia Laurent 2016 - Toute reproduction interdite.


EVOLUTIO - Prologue

Le volant tremble entre mes mains. La voiture est lancée à pleine allure, avalant les kilomètres en me procurant une véritable cure d’un plaisir enivrant. Carreaux grands ouverts, les cheveux offerts au vent, j’apprécie de sentir la vitesse, de laisser glisser le danger autour de moi, en me pensant invincible. J’ai l’impression de vivre, et cette sensation est tellement rare que je la savoure.
J’ai toujours aimé conduire rapidement, et aujourd’hui d’autant plus. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut fêter ses dix-sept printemps au volant d’une berline flambant neuf. Le dernier cadeau de mon père, à côté du chèque confortable et de la console dernier cri. Il ne pensait probablement pas en m’offrant ce présent que j’allais le détester. Et pourtant, si. Alors, pour le punir de son absence, je défie les lois humaines et physiques en testant le compteur de mon « super » cadeau. Je mets ma vie en danger et je m’en régale. À ma façon, je me venge de mon père, je lui envoie toute ma colère. « Tiens, Papa, tu as voulu m’offrir un peu de ton argent en échange de ta présence… et bien, savoure aussi le futur enterrement que tu auras à préparer ».
Je sais que je ne devrais pas réagir comme ça. Je pourrais simplement faire la gueule, l’insulter, et lui rendre la vie impossible. Mais non, il est beaucoup plus facile de traîner dans des lieux mal famés, fumer des joints et rouler à toute vitesse sur ma moto, sans casque. Défier la mort, c’est ma façon à moi de vivre et de lui faire du mal. Même s’il n’a aucune idée de ce que je fais. Un jour, il réalisera. Et ce jour, je rirai. Je me délecterai de son regard arrondi et de la peine qui inondera son visage. Car il aura enfin raté quelque chose dans sa vie, et ce quelque chose sera mon éducation.
J’actionne le clignotant et m’engage sur une bretelle d’autoroute, doublant sans vergogne une petite automobile. Je n’ai pas envie de respecter les panneaux, juste de rouler. Après avoir grillé un stop et emprunté le rond-point à toute vitesse, un rire narquois m’échappe... puis mon sourire s’affaisse aussi vite, tandis que cette brûlure au creux de mon estomac s’enflamme avec ardeur.
Le compteur grimpe d’autant plus. La berline avance si rapidement que le paysage n’est plus qu’une palette de couleurs brouillées.
Soudainement, la dernière chanson à la mode vibre autour de moi, bien trop fort, pulsant contre ma peau et s’infiltrant en moi avec une certaine douleur. Le son est à son maximum. Je crie un « décrocher » en direction de l’appareil placé au-dessus de mon rétroviseur intérieur. Du coin de l’œil, je vois la photo d’Alice s’afficher au milieu de l’immense écran situé à ma droite.
— Salut ma belle, dis-je en guise de salutation. Ne me dis pas que tu sèches encore un cours ?
— Je ne sèche pas, mais toi si, gros malin.
— Ah oui, c’est vrai. Je conduis.
— Tu as encore emprunté la Ferrari de ton père ?
— Non, je viens d’avoir une Tesla pour mon anniversaire, en échange de son absence quasi permanente. Je l’essaye.
Je tente le ton badin, mais elle devine rapidement ce que je lui cache. Elle reprend d’une voix où perce son agacement :
— Tu es en train de rouler trop vite, c’est ça ?
— À peine.
— Tom !
— C’est une superbe voiture, Alice, elle me ferait presque oublier la solitude incessante qui m’entoure. Tu sais, le truc que je reproche à mon paternel depuis des siècles et qu’il a tendance à oublier continuellement.
— Sérieux, Tom, il faut que tu arrêtes ça, s’écrie-t-elle. Tu m’agaces, à la fin !
— Peut-être. Mais je m’éclate !
Elle peste. Et raccroche. Je hausse les épaules et braque le volant sur la droite pour faire glisser mon cadeau d’anniversaire mortel vers le parking d’un supermarché totalement désert en cette heure. Les joies du New-Jersey, reflet inverse à celui de sa voisine la Grande Pomme. Je m’arrête dans un crissement de pneus qui a dû faire perdre pas mal de gomme à mon nouveau jouet et me penche vers la boîte à gants pour aller chercher mon portefeuille. Je compte bien dépenser mon argent en bières et autres alcools de tous genres, acheter de quoi faire la fête, et ne revenir chez moi que quand j’aurai tout oublié de cet anniversaire désastreux, soit dans quelques jours. D’ici là, mon père aura peut-être compris qu’il a un fils.
En me redressant, je croise le visage terne d’une personne d’une trentaine d’années, abaissée au niveau du carreau droit. Un tressaillement me traverse tandis que nos regards se soutiennent, qu’il me jauge avec une intensité qui me fait froid dans le dos. Ma main est bloquée en l’air, mon portefeuille verrouillé dans ma paume. Je me suis statufié, dérouté par cet inconnu qui paraît prendre un malin plaisir à me narguer, froidement, d’une façon perçante et dérangeante.
Enfin, mes muscles semblent se souvenir qu’ils ont du boulot, et je me redresse en oubliant ce fou qui doit être jaloux de mon nouveau jouet. Je retrouve la position assise et m’apprête à retirer les clés du contact quand quelque chose attire mon attention sur la gauche. Je sursaute brusquement en réalisant qu’un autre type m’observe au niveau de mon carreau côté conducteur, le nez pratiquement collé à ma vitre, son regard d’un bleu presque transparent figé sur moi.
La fébrilité me gagne, tandis que je scrute ce nouvel individu. Il a le teint aussi cireux qu’un zombie, les joues creuses. Et des yeux dérangeants, un peu fous. Il me détaille comme si j’étais une pierre précieuse au milieu d’un champ de cailloux. C’est aussi effrayant que perturbant. Surtout en sachant que l’autre dingue fait de même côté passager.
Avec une inquiétude croissante, je m’oblige à reposer mon portefeuille sur le siège à ma droite, puis à replacer la clé dans son orifice. En m’apprêtant à mettre le contact, mon cœur fait un raté. Il y a un nouveau mec assis sur mon capot, qui m’observe de façon aussi malsaine que les deux autres. Celui-là semble avoir la cinquantaine bien tassée, au vu des rides qui sillonnent son front et ornent les coins de ses lèvres, relevées en un sourire qui lance mon cœur dans une danse folle, motivée par la peur qui commence à monter en moi.
Le type écarte un pan de sa veste de costume grise. Et je pousse un râle rauque en voyant une arme se profiler, attachée à sa ceinture, au côté d’une plaque grise ornée d’un aigle. J’ai vu assez de séries pour savoir que cette plaque est celle du FBI. Que me veut l’agence fédérale la plus importante d’Amérique ? Je ne suis qu’un gamin ayant roulé un peu trop vite, par un assassin. Pourquoi trois gars viennent me chercher des noises sur un parking de supermarché, sans explication ?
Mes mains moites retrouvent le chemin du volant. Le type assis sur mon capot ne bouge toujours pas. Ils sont tous les trois aussi immobiles que des statues, occupés à me fixer d’une façon presque inhumaine, sans battre des paupières, sans ciller. 
J’affronte celui en face de moi pendant quelques secondes avant d’abandonner et de détourner les yeux. Je laisse le frein à main enclenché et appuie sur l’accélérateur pour faire hurler le moteur, en espérant qu’ils vont comprendre le message. Mais ils ne bougent toujours pas. Au contraire, j’ai l’impression qu’ils se rapprochent encore plus de mes carreaux, comme s’ils pouvaient y coller leurs joues.
L’envie de retirer le frein et de foncer me ronge, mais je n’ose pas, par peur de faire du mal à ce taré qui est quand même agent fédéral. Les autres aussi, peut-être. Pourtant, quelque chose me crie que des agents normaux ne réagiraient pas comme ça, aussi stupidement, pour parler à quelqu’un. Ils montreraient leur plaque, et se présenteraient. Mais eux… eux agissent comme des dingues, des animaux. La sensation de n’être qu’une proie face à trois prédateurs m’envahit de plus en plus.
Soudain, celui de gauche tape à ma fenêtre. J’arrondis le regard en me tournant vers lui. Il étire un rictus malsain, dérangeant. Je baisse mon carreau de quelques centimètres.
— Que voulez-vous ? je demande en essayant de maîtriser les tremblements dans ma voix.
— Sortez de la voiture, répond-il de façon mécanique.
Je ne veux pas obéir. Ces hommes ont l’air dingues, et malgré ma volonté à vouloir faire le malin pour défier l’absence de mon père, fricoter avec des types à la Terminator n’est pas au programme du jour. Je secoue la tête de gauche à droit.
— Revenez me voir avec un mandant. Et cassez-vous de ma voiture !
Ils n’obéissent pas. Au contraire, ils s'éternisent à leur place, en me fixant. Et, abruptement, le type à ma droite claque le bout de son index sur mon carreau. La glace tremble sous l’impact. Ma respiration s’accélère, ma peur explose. Le carreau continue de vibrer, comme s’il paniquait, lui aussi.
Je sens ma gorge se serrer, un nœud naître au creux de mon estomac. La terreur fait naître des étoiles noires au bord de mon champ de vision. Il faut que je fasse quelque chose, que je cesse de scruter cet inconnu qui frappe à présent ma vitre du plat de la main et la fait trembler de plus en plus fort. Il me faut toute ma volonté pour parvenir à détourner le regard et à me concentrer sur le volant. J’ôte le frein à main et écrase l’accélérateur. Ma voiture crisse quelques secondes sur place avant de s’envoler. Le type sur mon capot plonge sur le côté avec une facilité déconcertante, comme s’il n’avait attendu que ça. Je lâche un cri de panique. Ma peur me fait trembler avec violence.
Je m’éloigne en zigzaguant entre les voitures, le palpitant battant avec douleur entre mes côtes. La sueur coule le long de mon dos en une sensation glacée. Dans mon rétroviseur, les trois types se sont rassemblés. Le plus âgé tend la main vers moi. Je vois quelque chose briller dans sa paume.
Et mon monde explose alors. La voiture dérape, s’affole, mon volant m’échappe. J’essaye de réagir, mais trop tard. Les roues mordent l’herbe puis le fossé séparant le parking de la route. Je sens mon corps basculer sur le côté en même temps que la Tesla se penche vers l’avant. Un bruit de tôle froissée éclate parallèlement à la douleur à ma jambe, ma tête vole dans tous les sens. Je sens le goût métallique du sang teinter mes lèvres, m’empêcher de hurler. Dans un tourbillon, je vois le ciel devenir terre, puis la terre devenir ciel. La voiture fait plusieurs tonneaux, ma tête rebondit de nombreuses fois sur l’arrière de mon siège, les airbags se déploient, une intense douleur éclate dans mes côtes. Quand le véhicule s’arrête, je ne sais plus où est le haut, où est le sol, où je suis. J’entends un bruit sourd dans mes oreilles. Quelque chose dégouline sur mes joues et mon menton. Ma hanche me fait atrocement mal. L’air empeste l’essence, le sang, le métal. Si le chaos avait une odeur, ce serait celle-ci.
Mes bras pendent dans le vide. Je crois que la voiture est sur le toit. Je ne sais pas. J’ai mal. J’ai peur. Le monde tourne.
Je ne sais plus.
Ils sont là. Les hommes.
Je ne comprends pas.
Je ne sais pas.
L’un d’eux m’attrape par le bras à travers ma vitre brisée et me tire à lui sans ménagement.
La douleur explose. Je hurle. Je hurle. Pourquoi personne ne vient m’aider ?
J’ai mal.
Je hurle. Encore. Encore.
Et j’abandonne la lutte en me stoppant net, en sombrant avec délice dans l’oubli.


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